L’achat en usufruit au nom des parents : encore un changement !

Le nouveau code civil définit l’usufruit comme « un droit temporaire à l'usage et à la jouissance, de manière prudente et raisonnable, d'un bien appartenant au nu-propriétaire».

L’administration fédérale des finances a une fois de plus modifié son attitude dans ce qu’on appelle les acquisitions « démembrées », à savoir l’acquisition d’un immeuble ou d’un actif mobilier en usufruit au nom des parents et en nue-propriété au nom des enfants.

Cette technique est fort utilisée lorsque des parents achètent un logement et que leurs enfants sont déjà tous majeurs ; très naturellement, les parents vont envisager d’acheter le bien avec leurs enfants pour ne pas devoir supporter à la fois les droits d’enregistrement (12,5 %) ou la TVA (21 %) lors de l’achat, et plus tard, leurs enfants payer des droits de succession (jusque 30 %) lors de leur décès.

Où est le problème ?

Le problème vient d’un article du Code des droits de succession qui considère que si le nu-propriétaire d’un bien est l’héritier – direct ou indirect – de l’usufruitier, on doit considérer que ce bien fait toujours partie de la succession de l’usufruitier.

Cet article peut avoir des conséquences catastrophiques sur le plan du droit fiscal, puisque ce bien « démembré » va se retrouver en pleine propriété dans la succession de l’usufruitier, et à la valeur au jour de son décès.

Il est possible de diminuer cette valeur si l’usufruitier a effectivement bénéficié de son usufruit, mais la pilule fiscale reste amère.

Loi « anti-abus de droit » entrée en vigueur le 1er juin 2012.

La mise en œuvre de la loi « anti-abus de droit » ressemble fort au conseil donné par nos grand-mères « qu’il ne faut pas abuser des bonnes choses ».

De manière très succincte on peut dire que l’administration est désormais en droit de taxer des actes qui respectent la loi à la lettre, mais qui dans les faits n’ont pas d’autre motif que celui d’éluder l’impôt.

Dans l’exemple que nous citions, les parents, ou une tante sans enfants, seront dès lors tentés d’acquérir cet immeuble avec leurs héritiers pour éviter une double taxation : une fois lors de l’achat et une seconde fois à leur décès.

Acte suspect. La loi fiscale prévoit toutefois que ce type d’acquisition est trop facile pour être opposable à l’administration sans prendre quelques précautions.

Il y a eu de nombreuses décisions à ce sujet depuis l’entrée en vigueur de la loi anti-abus de droit en juin 2012 ; nous examinons la situation actuelle.

Nouveau changement à partir du 1er août 2020.

Sans que la loi ne soit modifiée, l’administration a décidé de modifier l’interprétation de la loi, et ce à partir du 1er août 2020, en imposant que les nus-propriétaires disposent des fonds avant l’achat sous seing privé et pas uniquement avant la signature de l’acte notarié.

Une donation rapide entre le compromis et l’acte notarié n’est plus possible pour échapper à cette taxation au décès de l’usufruitier.

Cela concerne toutes les conventions de vente conclues à compter du 1er août 2020.

Attention, ce changement ne concerne que les successions qui seront ouvertes à Bruxelles ou en Wallonie, même si le bien acheté est situé en Flandre.

C’est le lieu de résidence de l’usufruitier qui est déterminant.

Que faut-il faire ?

A Bruxelles et en Wallonie :

  • Soit les nus-propriétaires (généralement les enfants) prouvent qu’ils disposaient des fonds nécessaires avant de signer le compromis de vente, pour autant que ce compromis constate le paiement d’un acompte ou d’une garantie ;
  • Soit les parents doivent faire l’achat à leur nom et faire une donation immobilière dans la foulée au taux qui ont été réduits récemment à Bruxelles et en Wallonie ;
  • Soit les enfants achètent la pleine propriété et font donation de l’usufruit à leurs parents,

Pour cette dernière option, qui est la plus intéressante, il est conseillé de ne pas passer cet acte de donation le même jour, d’attendre 6 mois minimum de manière à éviter une requalification par application de la loi anti-abus.

Cet acte de donation d’usufruit sera peu coûteux car les parents sont déjà âgés ; de plus, le transfert de l’usufruit au nom des parents permet d’éviter que le revenu cadastral de ce bien soit taxé comme seconde résidence chez les enfants.

En Flandre :

En Flandre, l’administration a été remballée par le Conseil d’Etat et on est revenu à la situation antérieure, à savoir que les enfants (nus-propriétaires) doivent démontrer qu’ils disposaient des fonds nécessaires au payement de leur nue-propriété avant l’acte authentique d’achat.

La situation en Flandre est manifestement temporaire car elle a été imposée à l’administration suite à un arrêt du Conseil d’Etat du 12 juin 2018 ; le conseil de prudence reste de suivre la même voie qu’à Bruxelles et en Wallonie : soit les enfants possédaient ces fonds depuis longtemps et de manière indépendante de l’achat projeté, soit on règle les droits de donation de 3 %.

En effet, cette question fait toujours débat en Flandre et comme expliqué précédemment, en matière de donations non enregistrées, ce sera la loi au jour du décès qui sera vraisemblablement appliquée, et pas celle qui existait lors de l’acquisition démembrée (usufruit/nue-propriété).

Attention au lieu du décès

Nous ne connaissons pas le jour de notre décès, et c’est heureux, mais nous ne pouvons pas non plus déterminer avec certitude le lieu de résidence au jour de notre décès. Si après avoir acheté selon les règles flamandes, l’usufruitier déménage à Bruxelles ou en Wallonie, ce seront ces dernières qui seront compétentes pour sa succession.

Prenons l’exemple d’une personne qui habite Rhode-Saint-Genèse (région flamande) ; va-t-elle toujours rester en Flandre ? Il se peut qu’elle se déménage de quelques kilomètres pour se rendre à Uccle (Bruxelles) ou à Waterloo (Wallonie). Passé un délai de 2,5 ans, la loi fiscale des successions bascule d’une région à l’autre.

C’est pour cette raison qu’il faut être prudent dans ces acquisitions « démembrées ».